Soirée-débat: « Handicaps : dévalider la justice »

Date : 2 décembre 2025 à 18h00, à l'EHESS, 57 boulevard Raspail, Paris

Organisée par le Syndicat de la Magistrature, Droit Pluriel et l'EHESS

https://revue-deliberee.org/evenements/soir%C3%A9e-d%C3%A9bat-handicap-d%C3%A9valider-la-justice/

Intervention d'Odile Maurin à 18h15 : Première table ronde , Notion de handicap et accessibilité de la justice avec comme autres intervenantes : Myriam WINANCE, Anne-Sarah KERTUDO

Programme de la soirée : 18 h, accueil, introduction par la revue, délibéré.  18 h 15, première table ronde : notions de handicap et accessibilité de la justice. Intervenantes : Myriam Winance, Anne-Sarah Kertudo, Odile Maurin. Modération : délibéré.  18 h 45, échanges avec la salle.  19 h 05, deuxième table ronde : la justice du quotidien. Intervenants : Benoît Eyraud, Dominique Cogné, Aude Lejeune, Marion Drouet. Modération : Droit Pluriel.  19 h 35, échanges avec la salle.  19 h 55, mot de clôture.  20 h - 20 h 30, cocktail.  En français et langue des signes, avec transcription en temps réel. Inscription libre mais obligatoire.

Intervention - Soirée débat « Handicaps : dévalider la justice »

Table ronde : Notion de handicap et accessibilité de la justice

EHESS – 1er décembre 2025


Bonsoir à toutes et à tous.

Je suis Odile Maurin, présidente de l'association Handi-Social depuis 2001, élue municipale et métropolitaine d'opposition à Toulouse. J’ai une maladie génétique rare qui m’oblige à utiliser un fauteuil roulant électrique, je suis autiste et j’ai besoin d’être assistée par des tierce personne au quotidien. Ce soir, je vais vous raconter comment, avec mes camarades militants handicapés, nous avons été poursuivis pour entrave à la circulation, puis jugés dans un tribunal lui-même inaccessible. L'histoire est simple et consternante.

Pourquoi nous avons agi : En 2018, après près de 20 ans de démarches et participations à des instances institutionnelles, de travail avec ministres, préfets, élus, services, nous avions vu nos droits regresser. À Toulouse, la SNCF avait promis de rendre la gare Matabiau accessible en autonomie en 2015, sans jamais tenir cet engagement. Parallèlement, après l’ordonnance accessibilité qui avait donné de nouveaux délais après 50 ans de promesses, la loi Elan venait de diviser par cinq la production de logements neufs accessibles et limiter davantage un quota déjà inacceptable.

Comme on ne peut pas réunir des dizaines de milliers de personnes handicapées pour manifester, la seule manière de nous faire entendre, c'est de mener des actions de désobéissance civile non violente, par petits groupes actifs.

Le 24 octobre 2018, nous nous sommes installés pendant une heure sur une voie de chemin de fer en gare de Toulouse Matabiau, bloquant un TGV pour Paris. Le 14 décembre, nous sommes allés à l'aéroport de Toulouse-Blagnac. En passant par un portail laissé grand ouvert par Airbus, sans être empêchés par le vigile, nous avons pu accéder aux pistes et les bloquer pendant une heure environ. Par souci de sécurité, nous avions prévenu les renseignements territoriaux avant chaque action. Ces deux actions se sont terminées sans incident particulier.

Et les travaux à la gare de Matabiau ont finalement eu lieu fin 2019, au lieu d'attendre 2024 comme le souhaitait la SNCF.

Mais nous avons été poursuivis et condamnés pour entrave à la circulation ferroviaire et aérienne.

En première instance : un procès indigne : Le 23 mars 2021, nous avons été jugés au tribunal correctionnel de Toulouse. Et c'est là que tout a basculé dans l'absurde.

Le tribunal lui-même était inaccessible. Pour entrer, il fallait utiliser un élévateur pour fauteuil roulant. Cet élévateur, installé en 2008, n'était même pas conforme à la réglementation de l'époque. Il était sale, il sentait mauvais, et il fallait maintenir un bouton enfoncé en permanence pour le faire fonctionner, ce qui le rendait inutilisable en autonomie.

À l'audience, une de nos camarades qui a des difficultés d'élocution n’a pas disposer d'interprète alors que sa situation était connue. Quand elle s'en est plainte, la présidente du tribunal lui a répondu : « Je sais que c'est dur pour vous mais c'est aussi dur pour le tribunal ! » Une personne très malvoyante n'avait rien de prévu pour la guider, pas de copie du dossier en format lisible par un lecteur d'écran. Les micros ne marchaient pas, rendant les débats inaudibles, en particulier pour les personnes ayant des difficultés d'audition comme moi.

Il n'y a eu aucune pause malgré les demandes de nos avocats. Une militante s'est urinée dessus n’arrivant plus à sortir d’une salle trop petite et inadaptée à l’accueil de plusieurs fauteuils en même temps. En pleine période Covid, la salle, trop petite, ne permettait pas de respecter les distances ni suffisamment aérée alors que plusieurs d'entre nous présentaient de surcroit des comorbidités à risque. Le tribunal n'a pas non plus été capable de mettre à notre disposition le registre public d'accessibilité, pourtant obligatoire.

L'audience s'est terminée à 22 heures, bien après l'heure prévue avec les transports spécialisés accessibles, qui doivent être réservés 10 à 15 jours à l'avance et ne tolèrent aucun retard. Nous avons dû occuper le tribunal pendant deux heures pour obtenir des mobibus. En rentrant chez nous, il n'y avait plus d'auxiliaires de vie disponibles pour nous aider à nous laver, manger, nous coucher.

Ce procès a été ressenti comme une tentative d’humiliation. Le 19 mai 2021, nous avons été condamnés. Mes camarades ont écopé de peines de 2 mois d'emprisonnement avec sursis. Moi, j'ai été condamnée à 6 mois avec sursis.

En appel, quelques progrès, mais toujours du validisme. Avant l'audience, le parquet nous a demandé de lister nos besoins. Cela nous a pris plusieurs semaines pour 11 personnes. Une rampe a été installée mais juste provisoirement. Le magistrat a accepté des pauses toutes les 1h30. Il y avait des micros, et nous avons pu nous exprimer.

Mais nous n'avons pas obtenu l'accompagnement physique pour ceux d'entre nous qui en avaient besoin. Ce sont des greffières et des agents de sécurité qui nous ont accompagnés aux toilettes, ce qui n'était pas normal.

Et surtout, mon autisme n'a pas été pris en compte. Le magistrat me coupait en permanence, me trouvant trop longue, alors que c'est lié à mon fonctionnement. Ce même jour, j'ai dû enchaîner deux audiences d'appel, ce qui était insupportable et totalement inadapté.

La cour d'appel a confirmé notre culpabilité et m'a infligé une peine plus lourde que mes camarades, 2 000 euros d'amende dont 1 400 avec sursis, en retenant que j'étais « l'élément moteur du groupe » en raison de ma « forte personnalité qui ne tolère aucune contradiction ». Ce faisant, les juges ont présenté mes camarades comme incapables de penser par eux-mêmes ce qui ne correspond pas à la réalité. Un de nos camarades est décédé entre-temps, et la cour d'appel a « invité » les parties civiles à se rapprocher de ses héritiers.

En cassation : nos espoirs ont été douchés

Pourtant, l'avocate générale a produit un avis de 27 pages demandant notre relaxe. Elle a considéré que nos actions étaient des « manifestations pacifiques portant sur un sujet d'intérêt général » et que la répression portait une atteinte disproportionnée à nos libertés d'expression et de manifestation.

Mais le 8 janvier 2025, la Cour de cassation a rejeté nos demandes. Elle a certes fait évoluer sa doctrine et sa jurisprudence sur la liberté d'expression en procédant à un contrôle de proportionnalité, ce qui est un progrès. Mais elle a considéré que nos peines n'étaient pas disproportionnées, sans tenir compte de la loi Elan ni du contexte plus large de nos droits fondamentaux bafoués.

Ce que révèle cette affaire et ce qui nous dérange dans cette décision, c'est qu'elle présente notre affaire comme une simple question de mauvaise accessibilité des transports. Alors qu'il s'agit fondamentalement d'une question de droits humains. L'ONU, dans son rapport de 2021 sur la politique française du handicap, utilise trois termes : ségrégation, privation de liberté, atteinte aux droits humains.

Le validisme judiciaire a minimisé les entraves majeures, quotidiennes et répétées que nous subissons. C'est comme si nous relevions d'une autre humanité, alors que les obstacles à notre participation à la vie en société ne sont pas le fruit de nos incapacités, mais bien les choix d'une société inaccessible et inadaptée. D’une société encore et toujours construite par et pour les valides.

Et face à nos appels pour bénéficier enfin de conditions de vie dignes, on nous propose aujourd'hui de « mourir » soit-disant « dans la dignité », comme si le handicap en soi était une indignité.

Cette décision n'est pas la fin du combat. Nous avons déposé une requête devant la Cour européenne des droits de l'homme pour faire condamner la France et faire reconnaître la légitimité de notre action.

Merci.

 

Numéro 25 de la revue Délibéré d'août 2025 du Syndicat de la magistrature :

https://revue-deliberee.org/numeros/#25

Couverture de la revue Délibéré du mois d'août 2025, dévalider la justice, avec les titres de plusieurs articles. Couverture rose avec du texte en rouge et en noir.

Article Nous Faire taire du numéro 25 par Odile Maurin, présidente d'Handi-Social :

https://www.pepsup.com/resources/documents/ARTICLES/000/205/823/2058235/DOCUMENT/250818_Cairn_revue_Deliberee_OM_nous_faire_taire.pdf

Nous faire taire, par Odile Maurin

Odile Maurin, 61 ans, est présidente de l’association Handi-Social1 depuis 2001, élue municipale et métropolitaine de la minorité à Toulouse et membre de nombreuses commissions et instances consultatives et délibératives.
Elle explique avoir joué le jeu institutionnel pendant près de 20 ans, puis qu’Handi-Social a abandonné, pour cause d’usure, la défense des droits individuels des personnes handicapées ou atteintes de maladies invalidantes pour
se consacrer à la lutte contre le validisme. Elle privilégie la défense collective et dénonce l’absence de légitimité
des associations gestionnaires2. Handi-Social pose la question politique du respect des droits fondamentaux
des personnes handicapées constatant que ce qui se fait en matière de handicap se fait sans les personnes concernées, donc contre elles.
Entravée dans ma vie quotidienne, mes déplacements, je me suis retrouvée, avec mes camarades militant·es, poursuivi·es pour entrave à la circulation, devant un tribunal, lui-même inaccessible. L’histoire est simple et consternante.
Je suis en situation de handicap, et présente une maladie génétique rare qui m’oblige à me déplacer en fauteuil roulant électrique. Je suis autiste, une différence qui concerne les fonctions neuro-cognitivo-comportementales. Ma vie, et celle de mes pairs, est semée d’obstacles, non pas à cause de nos incapacités et déficiences, mais bien à cause de l’inaccessibilité, l’inadaptation de la société et de l’absence de moyens de compensation.
Quant à mes douleurs chroniques, si elles sont difficiles à vivre, elles seraient bien plus supportables si l’environnement était adapté.
Le sens de notre action
Avec mes camarades militant·es, nous avons maintes fois interpellé les ministres et secrétaires d’État chargé·es des personnes handicapées, la préfecture, les élus locaux et nationaux afin de leur faire part de notre mécontentement et de notre souhait d’être entendu·es dans nos revendications, en tant que personnes directement concernées. Hélas, nous n’avons jamais eu de réponse formelle et n’avons jamais été consulté·es, écouté·es ni même entendu·es. À mesure que nos droits ont été rognés, nous n’avons pas reçu le moindre soupçon d’intérêt ni vu d’amélioration de nos conditions de vie ni de celles de nos pairs, et de prise en compte de ce que nous avions à en dire.
DE NOMBREUSES GARES NE SONT TOUJOURS PAS ACCESSIBLES EN TOUTE AUTONOMIE ET LES PERSONNES HANDICAPÉES DEMEURENT DÉPENDANTES DE TIERS
Depuis plusieurs années, notre association, Handi-Social, dénonce en particulier l’inaccessibilité en autonomie des transports aériens et ferroviaires, notamment à Toulouse. Dans les avions, les portes étroites ne permettent pas aux fauteuils de passer, ces derniers doivent donc être laissés en soute. Cela empêche les personnes d’être autonomes en vol et dans un siège adapté, ainsi que pour aller aux toilettes par exemple. Il faut ajouter les fauteuils récupérés cassés, alors qu’ils sont des extensions de nos corps, les refus d’embarquement si l’on n’est pas accompagné, l’infantilisation, etc. Concernant le train, de nombreuses gares ne sont toujours pas accessibles en toute autonomie et les personnes handicapées demeurent dépendantes de tiers, voire ne peuvent pas utiliser ce type de transport compte tenu de la largeur insuffisante des portes, des couloirs des wagons, de la présence de marches, de l’absence de balises sonores pour les aveugles, et de WC accessibles. Certain·es se retrouvent ainsi à ne pouvoir fermer la porte des WC, à devoir s’uriner dessus ou devoir mettre des couches.
À Toulouse, la SNCF avait promis de rendre la gare accessible en autonomie en 2015 et de consulter les associations pour finaliser les travaux. Mais elle n’a respecté aucun de ces engagements et s’est contentée de renouveler le matériel existant, peu fiable et ne permettant pas de se déplacer de manière autonome, reportant à 2024 d’hypothétiques travaux.
Parallèlement, la loi Elan3 a divisé par cinq la production de logements neufs accessibles, diminuant davantage le quota existant. De nombreux reculs en termes d’accessibilité ont été sanctionnés internationalement et par les institutions nationales4. Outre cette diminution, le principe même d’un quota de logements accessibles dans les bâtiments neufs nous interdit durablement de rendre visite à nos ami·es, nos proches et nos familles dans leur domicile et donc de participer à la vie en société comme tout le monde.
Nous avions aussi dénoncé notre précarité organisée avec l’AAH, dont le montant était bien inférieur au seuil de pauvreté et qui était conjugalisée.
Comme on ne peut pas réunir des dizaines ou centaines de milliers de personnes handicapées pour manifester et dénoncer ces atteintes à notre dignité, la seule manière de nous faire entendre c’est de « nous attaquer », par petits groupes actifs, aux intérêts économiques de celles et ceux qui pèsent sur l’assemblée pour faire voter des lois qui sont contraires à nos droits.
En 2018, nous n’avons donc pas eu d’autre choix que d’entamer des actions militantes, non violentes, que l’on peut appeler « coup de poing » : nous avons décidé d’aller à la gare et à l’aéroport de Toulouse pour rendre cette lutte visible et interpeller les pouvoirs publics. Comme avant chacune de nos actions, nous avons prévenu les renseignements territoriaux qui ont alerté les services de police et de sécurité sur place.
Le 24 octobre 2018, nous nous sommes installé·es pendant une heure sur une voie de chemin de fer en gare de Toulouse Matabiau, ne bloquant qu’un TGV qui partait pour Paris. Pour dénoncer la loi Elan et le recul général de nos droits, le 14 décembre de la même année, nous sommes allé·es à l’aéroport de Toulouse Blagnac et, constatant un double portail laissé grand ouvert (nous apprendrons plus tard qu’il s’agissait d’une entrée dédiée à Airbus qui n’avait pas assuré correctement la sécurité), sans être empêché·es par le vigile à proximité, nous avons pu nous rendre sur une partie des pistes et y rester pendant une heure environ.
Ces deux actions se sont terminées sans incident particulier, hormis bien sûr des retards importants pour les voyageurs et voyageuses.
Les travaux à la gare de Matabiau ont finalement eu lieu après le blocage du TGV, fin 2019 puis en 2021 au lieu d’attendre 2024 comme le souhaitait la SNCF.
Cependant, nous avons été verbalisé·es par le préfet pour atteinte à la sûreté de l’aéroport puis poursuivi·es par le procureur de Toulouse et condamné·es pour entrave à la mise en marche ou à la circulation d’un train et entrave à la navigation ou à la circulation d’un aéronef.
Les poursuites pénales et administratives
J’ai d’abord reçu une « notification » de la gendarmerie du 7 janvier 2019 m’informant d’un manquement au Code des transports et au Code de l’aviation civile pour avoir accédé « sans autorisation et sans raison légitime » à la piste de l’aéroport, et me laissant un mois pour présenter mes observations. J’y ai répondu le 6 février 2019 en disant notamment que c’était à lui de nous payer car on lui avait offert gratuitement un diagnostic de sécurité (après notre action les règles de sécurité de l’aéroport ont été revues), un second degré qui manifestement n’était pas de son goût. Le 10 mai 2019, j’ai reçu,un arrêté préfectoral prononçant une amende de 750 euros pour manquements aux obligations de sûreté aérienne, soit le montant maximal prévu par le texte. Le 3 juillet 2019, j’ai adressé un recours hiérarchique au ministère de l’Intérieur expliquant le contexte et le motif de cette intrusion. Je demandais également la dispense de sanction au regard de nos revenus avoisinant les 860 euros.
LES MICROS NE MARCHAIENT PAS, RENDANT LES AUDIENCES INAUDIBLES, EN PARTICULIER POUR LES PERSONNES AYANT DES PROBLÈMES D’AUDITION
En novembre 2019 et juillet 2020, j’ai saisi le tribunal administratif de Toulouse pour faire annuler cette décision mais ma requête a été rejetée. Mes camarades ont eu le même sort.
Nous ne sommes pas allé·es plus loin car nous n’en avions financièrement pas les moyens. Parallèlement, nous avons été convoqué·es au tribunal correctionnel de Toulouse pour y être jugé·es.
Tribunal correctionnel : une audience indigne à tous points de vue
Avant d’évoquer la procédure elle-même, je souhaiterais revenir sur la tenue de ce procès qui s’est déroulé le 23 mars 2021. Tout d’abord, les lieux n’étaient pas accessibles en autonomie, c’était une galère pour rentrer dans le tribunal.
Il fallait utiliser un élévateur pour fauteuil roulant. Or, outre le fait qu’il était sale et sentait mauvais, il fallait appuyer sur un bouton et le maintenir en permanence enfoncé, ce qui empêche de pouvoir s’en servir seul·e. Installé en 2008, il n’était pas conforme à la réglementation de l’époque et aurait justifié un recours contentieux... À l’audience, une des personnes poursuivies avait des problèmes d’élocution mais ne disposait pas d’interprète. La présidente du tribunal lui a reproché de s’en plaindre et ajouté « je sais que c’est dur pour vous mais c’est aussi dur pour le tribunal ». Une personne malvoyante n’avait rien de prévu pour la guider dans le tribunal, pas de copie du dossier en format lisible par un lecteur d’écran, les micros ne marchaient pas, rendant les audiences inaudibles, en particulier pour les personnes ayant des problèmes d’audition. Il n’y a eu aucune pause malgré des demandes des avocats et une militante s’est urinée dessus. Nous étions encore en période de Covid et la salle, trop petite, ne permettait pas de respecter les distances alors qu’il y avait des personnes handicapées, à risque compte tenu de leur comorbidité. En outre, le tribunal n’a pas été capable de mettre à notre disposition le registre public d’accessibilité5, pourtant obligatoire pour les établissements recevant du public.
L’audience s’est terminée à 22h, bien après l’heure prévue avec les transports spécialisés accessibles, qui doivent être réservés 10 à 15 jours avant et ne tolèrent aucun retard – ce qui nous contraint énormément dans notre vie quotidienne –, conditions qu’aucun valide n’accepterait.
Nous avons été obligé·es d’occuper le tribunal pendant deux heures pour qu’ils mobilisent ces mobibus. Compte tenu de l’horaire, en rentrant chez nous, il n’y avait pas de possibilité d’avoir des auxiliaires de vie pour se laver, manger, se coucher car il n’est pas possible de les mobiliser au dernier moment et ce sont des camarades qui ont joué le rôle d’auxiliaires.
C’EST COMME SI NOUS RELEVIONS D’UNE AUTRE HUMANITÉ
Ce procès a été ressenti comme une humiliation, avec une présidente fermée à tout dialogue.
Le 19 mai 2021, nous avons eu connaissance du jugement, en passant par le même élévateur, et dans la même salle d’audience trop petite et aux micros défaillants : à l’exception d’une, condamnée à 750 euros avec sursis, et d’un autre à 4 mois avec sursis, toustes mes camarades ont été condamné·es à 2 mois d’emprisonnement avec sursis. Me concernant, j’ai écopé d’une peine de 6 mois avec sursis. La seule petite victoire de cette audience a été d’obtenir la nullité de mes prises d’empreinte et de photographies qui ont donc dû être effacées des fichiers de police. Nous avons aussi été condamné·es à indemniser la SNCF à hauteur de 1.491,01 euros au titre de dommages-intérêts et 600 euros pour leurs frais d’avocats ainsi qu’un euro à l’aéroport Toulouse Blagnac et la SAS Airbus Opérations, outre 600 euros de frais d’avocats pour cette dernière.
À noter qu’Air France a demandé, en appel, un renvoi sur intérêts civils. Nous avons fait appel de cette décision qui nous paraissait parfaitement injuste.
En appel, quelques progrès sur la tenue de l’audience mais de nouveau des condamnations. Dès que la date d’audience a été fixée, le parquet a demandé à nos avocats de communiquer nos besoins, ce que nous avons fait pour que ce nouveau procès puisse enfin être équitable et nous permettre de nous exprimer sur le fond de l’affaire, notre motivation à agir, et l’état de nécessité dans lequel nous l’avions fait. Lister nos besoins pour 11 personnes nous a pris plusieurs semaines. Nous avons proposé au parquet de venir nous assurer que les conditions d’accès physique seraient conformes et de mettre à plat toutes les difficultés en amont pour pouvoir aborder le fond de cette affaire. Hélas proposition refusée, et nous étions donc plutôt inquièt·es à l’approche du procès. Les seules réponses positives que nous avons eues finalement, c’est une rampe pour l’entrée de la place du Salin (mais qui n’a été installée que provisoirement et n’a pu servir à d’autres), et le versement d’indemnités à l’auxiliaire de Bedria pour qu’elle traduise ses propos, du fait de ses difficultés d’élocution. Malheureusement, nous n’avons eu aucune réponse favorable pour l’accompagnement physique de trois d’entre nous qui avions besoin d’aide pour retirer et remettre nos manteaux, aller aux toilettes, passer des portes, etc. Ce sont donc des greffières et agents de sécurité qui nous ont accompagné·es, ce qui n’était pas normal.
LE VALIDISME JUDICIAIRE A MINIMISÉ LES ENTRAVEMAJEURES QUE SUBISSENT DE PLUS EN PLUS LES PERSONNES HANDICAPÉES DANS CE PAYS
En revanche, le magistrat a accepté de faire des pauses toutes les 1h30 pour nous permettre notamment d’aller aux toilettes. Et nous avons pu nous exprimer chacun·e à notre tour. Il y avait des micros et tout le monde a pu entendre.
Nos avocats, Arié Alimi, et David Nabet-Martin, ont plaidé l’état de nécessité et le droit à la liberté d’expression pour demander notre relaxe, exposant toutes les démarches et actions, que nous avons menées ces 20 dernières années en lien avec les pouvoirs publics pour tenter de faire avancer nos droits. Pour finalement assister à des reculs majeurs remettant en cause les quelques progrès obtenus au milieu de 50 ans d’attente du respect de nos droits fondamentaux.
Cependant, dans sa décision rendue le 27 octobre 2022, la Cour d’appel de Toulouse a confirmé le jugement sur la culpabilité, condamné mes camarades à la peine de 1.200 euros d’amende avec sursis, et moi-même à 2.000 euros d’amende dont 1.400 euros avec sursis. Aux condamnations civiles, qui ont été confirmées,
se sont ajoutés les frais de procédure en appel. En outre, comme un des militants était décédé entre-temps, la cour d’appel a « invité » l’aéroport, la SNCF et Airbus à se rapprocher de ses héritiers. Pour l’instant, la question des intérêts civils, notamment d’Air France, demeure pendante.
Pour justifier la condamnation plus importante me concernant, les juges ont retenu : « Odile Maurin a été condamnée postérieurement aux faits qui intéressent la cour au titre de faits également postérieurs en répression du délit de participation à une manifestation sur la voie publique malgré injonction judiciaire. (...) Elle est l’élément moteur du groupe des prévenus, tant en raison de sa forte personnalité qui ne tolère aucune contradiction, que de sa situation de présidente de l’association Handisocial, mais aussi d’élue [conseillère municipale à Toulouse] ou membre d’une organisation consultative [conseillère au conseil économique, social et environnemental d’Occitanie]. Les débats ont montré l’extrême ascendant qu’elle exerce sur les autres prévenus, sans doute justifié par l’aide et le soutien qu’elle leur apporte sans faiblir (notamment dans l’obtention d’un logement adapté). » Ce faisant, on fait ainsi passer mes camarades comme incapables de penser par eux-mêmes ! Et il est factuellement faux de dire que les militants mobilisés auraient obtenu un logement adapté par mon entremise : c’est vrai pour pas mal de personnes mais pas pour les militants impliqués dans ce procès.
Ils ont également conclu que « Les délits commis, en raison du contexte (...), présentent un degré de nécessité dans lequel nous l’avions fait. Lister nos besoins pour 11 personnes nous a pris plusieurs semaines. Nous avons proposé au parquet de venir nous assurer que les conditions d’accès physique seraient conformes et de mettre à plat toutes les difficultés en amont pour pouvoir aborder le fond de cette affaire. Hélas proposition refusée, et nous étions donc plutôt inquièt·es à l’approche du procès. Les seules réponses positives que nous avons eues finalement, c’est une rampe pour l’entrée de la place du Salin (mais qui n’a été installée que provisoirement et n’a pu servir à d’autres), et le versement d’indemnités à l’auxiliaire de Bedria pour qu’elle traduise ses propos, du fait de ses difficultés d’élocution. Malheureusement, nous n’avons eu aucune réponse favorable pour l’accompagnement physique de trois d’entre nous qui avions besoin d’aide pour retirer et remettre nos manteaux, aller aux toilettes, passer des portes, etc. Ce sont donc des greffières et agents de sécurité qui nous ont accompagné·es, ce qui n’était pas normal.
LE VALIDISME JUDICIAIRE A MINIMISÉ LES ENTRAVES MAJEURES QUE SUBISSENT DE PLUS EN PLUS LES PERSONNES HANDICAPÉES DANS CE PAYS
En revanche, le magistrat a accepté de faire des pauses toutes les 1h30 pour nous permettre notamment d’aller aux toilettes. Et nous avons pu nous exprimer chacun·e à notre tour. Il y avait des micros et tout le monde a pu entendre.
Nos avocats, Arié Alimi, et David Nabet-Martin, ont plaidé l’état de nécessité et le droit à la liberté d’expression pour demander notre relaxe, exposant toutes les démarches et actions, que nous avons menées ces 20 dernières années en lien avec les pouvoirs publics pour tenter de faire avancer nos droits. Pour finalement assister à des reculs majeurs remettant en cause les quelques gravité modéré mais ne doivent toutefois pas être banalisés car ils portent en eux le risque de donner l’idée à d’autres de procéder de même, au risque évident de rendre les circulations ferroviaires et aériennes extrêmement complexes et risquées, voire dangereuses »…
Pour moi, cela a été particulièrement difficile car j’ai enchaîné le même jour, avec le même magistrat, une autre audience d’appel de ma condamnation pour avoir « attaqué et violentédes policiers » avec mon fauteuil roulant, qualifié d’arme par destination6. Demander à une personne autiste, avec des troubles cognitifs, de se défendre dans la même matinée au cours de deux audiences, c’était insupportable, surtout que le magistrat me coupait en permanence, me trouvant trop longue, alors que c’est lié à mon autisme. L’audience a été électrique parce que la justice ne forme pas ses magistrats afin qu’ils adaptent les procès aux situations de handicap pour juger dans des conditions adaptées et respectueuses du droit au débat contradictoire.

L’espoir douché de la cassation
En cassation, nous avons enfin été entendu·es par l’avocate générale qui, par un avis motivé de 27 pages, a demandé la cassation de cet arrêt7. Elle a en effet considéré que les juges de la cour d’appel n’ont « pas correctement tenu compte de l’espèce et de la nature du comportement reproché » ce qui ne permet « pas d’établir les raisons sociales impérieuses justifiant la répression ». En effet, la répression représente une grave ingérence dans la liberté d’expression et la liberté de réunion et pour être légale, doit être proportionnelle au but recherché : « le trouble causé à la circulation est consubstantiel à la manifestation de voie publique, de sorte que seuls ses abus peuvent, le cas échéant, justifier qu’il y soit apporté des restrictions », « On note que la défense des prévenus paraît avoir entendu insister sur le caractère d’ultime recours de la démarche manifestante ». L’avocate générale a notamment rappelé le contexte : des actions pacifiques, sans violence ni appel à la violence, les services des renseignements territoriaux prévenus afin d’éviter tout risque d’accident et un terme mis à la manifestation sans nécessité de dispersion de la part des forces de l’ordre. Et elle a ensuite ajouté, après avoir analysé le préjudice de nos actions subi par les sociétés et les voyageur·euses, « en l’absence de toute atteinte causée aux biens lors des manifestations, le seul préjudice des sociétés commerciales, dont le fondement ne traduit pas directement un dommage causé aux voyageurs, pèse peu dans la balance de proportionnalité au titre de la gravité des faits ». Elle a enfin conclu que le trouble à l’ordre public avait été modéré compte tenu de notre comportement et qu’ainsi la répression ici portait une atteinte disproportionnée à nos libertés d’expression et de manifestation, protégées par la Cour et la Convention européenne des droits de l’homme.
Cependant, le 8 janvier 2025, la Cour de cassation a rejeté nos demandes et ainsi confirmé nos condamnations8. Elle a d’abord relevé que nos actions « se sont inscrites dans le cadre de manifestations pacifiques portant sur un sujet d’intérêt général, qui peuvent être considérées comme une expression au sens de l’article 10 » de la Convention européenne des droits de l’homme. Mais elle a ensuite conclu que « les déclarations de culpabilité et les peines prononcées (amendes et amendes avec sursis) ne sont pas disproportionnées » dans la mesure où il y avait eu blocage d’un train et de la circulation aérienne, ce qui avait « engendré des préjudices certains pour les usagers et compagnies de transport ».
Pourtant, les parties civiles ont été incapables de justifier leur chiffrage du préjudice et de les étayer par des plaintes précises de voyageurs.
Il faut relever que la Cour de cassation a ici fait évoluer positivement sa doctrine sur la liberté d’expression, en optant pour un contrôle complet de proportionnalité alors que jusqu’à présent elle jugeait seulement sur la forme les décisions de première instance et d’appel. Cette évolution jurisprudentielle est un progrès pour les droits de l’homme et va permettre aux militant·es quiagissent dans le cadre de la désobéissance civilenon violente de bénéficier d’un droit plus protecteur qui s’inspire de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Cependant, le validisme judiciaire a minimisé les entraves majeures que subissent de plus en plus les personnes handicapées dans ce pays. La décision ne fait notamment aucune référence à l’une des causes de notre mobilisation, la loi Elan réduit le nombre de logements accessibles9.
Nous sommes écoeuré·es et nous avons bien compris qu’ils craignaient que nous recommencions, que d’autres fassent comme nous.
Ce qui nous dérange dans le message de la Cour de cassation, c’est qu’elle présente notre affaire comme une simple problématique de manque d’accessibilité des transports, alors qu’il s’agit fondamentalement d’une question de respect de nos droits humains, des enjeux, des conditions de vie des personnes handicapées, dans une société dont la dérive eugéniste devient deplus en plus évidente chaque jour10. C’est comme si nous relevions d’une autre humanité, alorsque les obstacles à notre participation à la vie en société ne sont pas le fruit de nos incapacités ou déficiences, mais bien les choix d’une société inaccessible et inadaptée à tous et toutes.
Pour mémoire, l’ONU, dans son rapport sur la politique française du handicap, parle de « ségrégation, de privation de liberté et d’atteinte aux droits humains »11.
Nous dénonçons une société qui considère que nos vies ne valent pas la peine d’être vécues à tel point que nombre de valides expliquent qu’ils préféreraient mourir que d’être dans notre situation. Face à nos appels au secours concernant les conditions de vie des personnes handicapées en France, les parlementaires et le gouvernement nous proposent finalement de « mourir dignement » plutôt que de mettre en oeuvre les conditions permettant des conditions de vie dignes et notre participation à la vie en société sur la base de l’égalité avec les autres.
Cette décision de la Cour de cassation ne signifie pas la fin du combat puisque nous saisissons la Cour européenne des droits de l’homme.


1 Voir le site internet de l’association : https://www.handi-social.fr/.
2 Elle souligne notamment que l’ONU dénonce le conflit d’intérêts dans la mesure où les associations gestionnaires prétendent parler au nom des personnes handicapées tout en gérant des établissements spécialisés (APF, Unapei, APAJH…) : les intérêts gestionnaires ne sont pas les mêmes que ceux des personnes concernées. Elle compare ainsi la situation à celle d’Orpea ou Korian qui n’osent pas se présenter comme représentants des personnes âgées.

3 Loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement de l’aménagement et du numérique (Elan).
4 Voir en particulier la condamnation par le comité des droits sociaux du Conseil de l’Europe le 17 avril 2023 et l’article du 27 mars 2023 sur le site de la CNCDH : https://www.cncdh.fr/actualite/handicap-la-france-condamnee-par-le-comite-des droits-sociaux-du-conseil-de-leurope.

5 Le registre permet d’informer le public sur le degré d’accessibilité de l’établissement. Il doit mettre à disposition l’ensemble des documents déjà produits par l’établissement et les réponses qui lui ont été apportées : décret du 28 mars 2017 relatif au registre public d’accessibilité et modifiant diverses dispositions relatives à l’accessibilité aux personnes handicapées des établissements recevant du public et des installations ouvertes au public et l’arrêté du 19 avril 2017 fixant le contenu et les modalités de diffusion et de mise à jour du registre public d’accessibilité.
6 Il aura fallu plus de quatre ans pour que je sois enfin relaxée de cette accusation délirante et infamante grâce à une vidéo que le magistrat de première instance avait refusé de regarder. pour juger dans des conditions adaptées et
respectueuses du droit au débat contradictoire.
7 Avis disponible sur le site de la Cour de cassation : https://www.courdecassation.fr/getattacheddoc/677e294b7273c-3590cec10c1/eab29f7da629e6421edb5183844bca03

8 8 janvier 2025, Cour de cassation, Chambre criminelle, Pourvoi n° 23-80.226, décision accessible en ligne.

9 Un rapport de l’IGEDD (Inspection générale de l’environnement et du développement durable), chargé d’en faire le bilan, montre que la loi Elan n’a pas permis de faire réduire le coût du logement. Lire notamment sur le site Yanous.com l’article paru le 5 janvier 2024, « Logement évolutif : le rapport à la poubelle ? Le ministre du Logement a rejeté le rapport d’évaluation de la mise en oeuvre du logement évolutif : enquête », https://www.yanous.
com/news/focus/focus240105.html.
10 Voir à ce sujet les écrits d’Elisa Rojas et notamment sa tribune dans Le Monde le 13 février 2025, « Fin de vie : “Qui
définit ce qui est digne ou indigne dans la mort ?” » ou l’entretien réalisé par Madeleine Pontaville sur le site de Révolution permanente « Le texte de loi sur la fin de vie relève d’une logique validiste et eugéniste », https://www.revolutionpermanente.fr/Le-texte-de-loi-sur-la-fin-de-vie-releve-d-une-logique-validisteet-eugeniste-Entretien-avec-Elisa.

11 Rapport du comité des Nations Unies pour les droits des personnes handicapées du 15 septembre 2021, https://unric.org/fr/handicap-lonu-appelle-la-france-a-revoir-sa-legislation/.